"Cadavre Exquis" La Fin des Temps selon les elfes

     
     Un cor résonna, signe du début des premiers pourparlers. Non sans mal, l’assemblée haute en couleurs commença à faire baisser le bourdonnement de discussions privées qui l’agitait. Seul Grimgor, un bon chef orque, refusa de se plier à l’étiquette et continua à mastiquer bruyamment ses hors-d’œuvres.
     Ils étaient tous réunis dans la Grande Salle d’Assemblée de la Guilde des Marchands de Marienburg, vénérable bâtiment défiant par l’ingéniosité de sa construction le temple d’Altdorf lui-même. Il s’agissait d’un amphithéâtre à la taille immense selon les mesures de l’époque, et permettait sans mal d’y faire cohabiter toutes les délégations présentes. Perdus quelque part dans la délégation impériale, les représentants de la Guilde des Marchands de Marienburg priaient en chœur pour que leur lieu de réunion ne soit pas trop malmené à l’issue des débats.
     Par souci de diplomatie, personne ne se vit recevoir la prestigieuse chaire au milieu de la Grande Salle. Néanmoins, malgré toutes les précautions prises, les dirigeants les plus sages voyaient que leurs assistants jetaient des regards nerveux de parts et d’autres : les nains et les asurs se scrutaient avec un dédain et une rancœur non-dissimulée, alors que les humains ne se sentaient pas rassurés à la délicate vocation de tempérer les deux… De leur côté, les druchii et les asraï semblaient suivre leur principe séculaire : ne faire confiance à personne. Quant aux représentants des peaux vertes, même les dieux ne pouvaient savoir quelle folie leur permettait de garder un semblant de calme et d’attention quant aux enjeux qui allaient être discutés.

     Il y eut comme un vent de soulagement parmi les rangs lorsque l’empereur Karl Franz se décida à prendre la parole :
     « Honorables alliés venus de terres lointaines ! Au nom de mon peuple, je vous salue en ce lieu aujourd’hui, et je vous adresse ma plus profonde gratitude pour avoir accepté de venir. Toutefois… »
     L’assemblée comprit que malgré les politesses d’usage, l’empereur tenait à rapidement en venir aux faits.
     « … Toutefois je ne saurais exprimer mon grief quant aux événements qui ont rendue nécessaire cette exceptionnelle rencontre. Je parlerai brièvement, car je sais que tous savent que le Vieux Monde est de nouveau en proie à l’assaut des Puissances du Chaos, et que le plus grand nécromancien de tous les temps est de nouveau retourné parmi les vivants ! »

     Les interprètes finirent fébrilement de transmettre les paroles de l’illustre humain à leurs seigneurs, puis un silence nerveux s’installa. Personne ne questionnait les faits posés par Karl Franz, mais personne ne semblait non plus disposé à l’aider dans sa démarche de création d’alliance.

     « Moi j’dis : c’que dé minus. »

     Tous les regards se tournèrent vers l’illustre orque qui brisa le silence sans ménagements ; c’était à peine si tous lui intimaient de se taire.

     « Koi ? C’que des minus, moi j’dis ! J’ai pété la gueule à leur chef dans l’temps ! »

     Une tension quasi palpable commença à monter dans l’assemblée. L’impertinence de Grimgor paraissait sur le point de délier les langues et libérer un flot de paroles de toutes parts… Ce qui ne manqua pas de se réaliser.

     « Par Asuryan ! Qui a invité cet orque ici ! »
     « Par la barbe de mes ancêtres, nous exigeons qu’on foute cet orque dehors ! »
     « DEHORS ! DEHORS ! » - fusa de toutes parts.
     « DEKOI ?? VOU Z’AUSSI, Z’ÊTES QUE DÉ MINUS ! JE VOUS PRENDS TOUS KAN VOU VOULÉ !!! »

     Le conseil exceptionnel parut sur le point d’échouer avant même d’avoir débuté. Toutefois, ce fut alors que les plus sages des dirigeants décidèrent de reprendre les choses en main.

     Il se releva avec grand peine ; ses genoux tremblaient, ainsi que sa mâchoire inférieure. Pâle comme un linceul, il regarda fixement les genoux de l’empereur, haletant et silencieux pendant un instant, au milieu de l’assemblée également surprise par son arrivée fracassante. Enfin, comme s’il ne pouvait faire autrement, il cria ses paroles dans un flot saccadé :
- V-v-ot-t-tre Majesté !! Un-un… un autre v-visiteur se t-t-tient auprès d-des gr-randes portes et d-demande à entrer !! Il s-se dit app-pelé… M… M… Mann… Mannfred von Carstein !!!
     Et il retomba violemment face contre terre, comme s’attendant à quelque courroux céleste pour avoir prononcé ce nom impie. Sa peur, telle une maladie, s’imprégna par un affreux malaise dans les esprits les moins valeureux, alors que d’autres membres de l’assemblée ne purent retenir des signes d’inquiétude apparaître sur leurs traits. Certains, enfin, sentirent de vives rancunes s’embraser en eux, tel le fer soudain chauffé au rouge ; leurs poignes se retrouvèrent immédiatement sur leurs armes.
     Karl Franz se tourna tout d’abord vers le ReiksMarschall, celui-ci lui répondant par un regard hargneux, mais déterminé, signifiant : « Quels que soient vos ordres, je les suivrai. » L’empereur se tourna alors vers l’assemblée, et tout d’abord vers les autres dirigeants qui venaient de lui exprimer leur soutien. Tous semblaient pareillement graves, doutant de la décision à prendre. Teclis, l’archimage haut-elfe, murmurait quelque chose à l’oreille de son frère contrit, alors que le thane nain semblait perdu dans sa propre réflexion, sourd aux invectives agitées de son escorte. L’enchanteresse de la forêt enchantée affichait un masque de répugnance qui jurait avec ses traits harmonieux, et son émotion était partagée par le Roy Louen.
     Néanmoins, ce fut celui-ci qui prit soudain la parole :
- LEVE-TOI ! Larbin ! Ta conduite fait honte à ta patrie et aux tiens ! DEBOUT ! Et regarde-moi dans les yeux !
     Comme si quelqu’un l’avait violemment secoué hors du sommeil, le messager se releva, hagard, et essaya de se mettre face au souverain bretonnien. Au moment de rencontrer son regard, il s’en détourna vivement ;
- Obéis ! – entendit-il soudain de l’autre côté. – Tu fais honte à ta patrie, à ton peuple, et à ton empereur !
     Entendant la voix du détenteur de Ghal Maraz, le messager s’exécuta, toujours tremblant. Alors, le roy bretonnien s’adressa d’abord à lui, puis à toute l’assemblée :
- Personne, m’entends-tu, personne n’a le droit d’avoir peur aujourd’hui ! La peur de l’un signifie la mort pour tous, et c’est seulement unis dans le courage et la vertu que nous saurons forger une alliance capable de sauver nos peuples et nos terres ! – à ces mots, le sang parut revenir au visage du messager, qui cessa de trembler. Mais Louen Leoncœur ne s’arrêta pas là : - qu’il entre, ce soi-disant seigneur ! S’il vient en allié, il sera entendu, et s’il vient en ennemi, toute sa vilénie ne suffira pas pour sortir de cette salle vivant !
     Son discours créa une vive agitation un peu partout, quelques marchands présents osant même quelques timides applaudissements, mais ceux-ci se turent rapidement. Un vent glacial remua les bannières et les rideaux des grandes fenêtres. Il sembla même que la lumière du jour diminua quelque peu, et les ombres s’agrandirent.
     Des pas lourds et mesurés retentirent depuis l’entrée, se répercutant en écho dans le silence soudain rétabli dans le grand amphithéâtre. Les gardes auprès des portes intérieures se crispèrent en sentant les trois sinistres personnages passer le seuil de la salle. Le premier était un homme de haute stature, sa longue cape noire dissimulant la quasi-intégrité de son corps et de sa tête encapuchonnée. Les deux figures qui le suivaient se distinguaient l’une par sa petitesse, et l’autre par son étrange maigreur. Tous deux étaient également drapés dans des capes noires qui rendaient leur apparence indiscernable. La plupart des héros présents dans l’assemblée, toutefois, n’avaient aucun mal à deviner leur nature. Enfin, le premier d’entre eux, l’homme, se découvrit : longs cheveux noirs et soyeux, teint pâle comme la mort, un sourire carnassier dont l’intention première semblait de montrer à tout le monde la démesure de ses canines. L’homme ne daigna pas s’incliner devant quiconque, mais balaya l’assemblée du regard, et prononça :
- La croyance prétend qu'aucun des nôtres ne saurait franchir un seuil si quelqu’un de la maison ne l’y invitait pas. J’offre mes remerciements à Sa Majesté le Roy de Bretonnie pour son aimable invitation. Bien sûr, je viens en allié, et pour une fois, les intérêts que je représente son ceux d’un autre, bien plus puissant que moi, voire de nous tous réunis, mais pas de notre ennemi commun… Considérez cela comme une exception qu’offrent seulement les temps les plus noirs et désespérés, et sachez que votre malveillance à mon égard est réciproque…

     Il parlait d’un ton aussi froid et tranchant que l’acier trempé, et tous les regards, mêlés de dégoût et de haine, étaient tournés vers lui. Grimgor vérifia une fois de plus si hache était bien affutée. Partout ailleurs, lorsque le vampire acheva de parler, des murmures, des grondements menaçants se firent entendre. Tous les dirigeants le sentaient : il fallait que quelqu’un calme à nouveau les esprits, s’ils ne voulaient pas que la rencontre risque à nouveau le désastre.